Qui dit martial dit manœuvres. Et qui connote manœuvres sous-entend certainement entrainement. Au même titre que les plus grands bardes de ce monde -tel que le très connu Solÿn de Malarme- ne conçoivent pas de monter sur scène sans avoir répéter au préalable, il serait impensable de ne point disposer d’entrainements militaires au sein d’un ordre tel que celui de l’Ost Pourpre.

   J’eus été convié par ailleurs à l’un de ces exercices, alors que je ne portais pas encore la cloche. Et afin de rendre honneur à mes hôtes, je m’armais de cet engin gnome pouvant graver sur papier quelques représentations de la réalité, afin d’immortaliser l’évènement. Et je dois par avance vous avouer que j’étais alors bien aise que l’appareil en soit fut à l’épreuve des chocs et de l’eau, l’entrainement s’étant avéré un brin plus mouvementé que je ne l’escomptais.

   Sans plus attendre, voici le :

   Brandissez les armes, arborez fièrement les couleurs et profitez de ce nouvel opus des Livres des souvenirs,

   Cordialement, Ragthar Martel-de-Givre.

   Je n’étais à l’époque qu’un simple postulant auprès de la cloche. Je quittais alors ce tantôt mes fonctions de dirigeant politique d’un ordre que je présidais avec le concours de mon frère, et qui était tombé dans l’oubli, pour entamer une candidature au sein de l’Ost. Feu le lieutenant Verminaard eut alors la cordialité de me convier à l’un de leurs entrainements. M’équipant un brin, je me dirigeais alors dès l’aube en direction de la forteresse Pourpre. La brise était chantante, et la température clémente. Je décidai donc de m’y rendre à pieds. Cela aurait au moins le loisir de m’échauffer. L’aube pointait le bout de son nez, illuminant les cimes qui me surplombaient allègrement tandis que mes bottines de plates claquaient, que mon pourpoint de maille cliquetait et que la ferraille de mes armes résonnait alentour, réveillant quelques minutes trop tôt une faune encore embrumée par une nuit probablement trop confortable pour être si outrageusement écourtée.

   Ce n’est qu’au bout d’une marche plus longue que prévue que je parvins à l’orée de la Marche de l’Ouest, faisant halte cependant à la lisière de la Forêt d’Elwynn. Aucun brouillard, aucune brume ne gâchait cette matinée pleine d’une chaleur extravagante pour la saison, alors que sur la rosée scintillait les reflets irisés d’un Soleil commençant déjà à prendre sa place. M’armant plus de mon courage que de mon marteau, je me dirigeai vers le bastion quand j’aperçus alors quelques têtes connues parmi les rangs parfaitement alignés des soldats de la cloche. Tous étaient en armes et attendaient de pieds fermes le début des manœuvres.

   Je me rendis en compagnie de certaines connaissance avec qui je pris le temps d’échanger les dernières nouvelles. Dispensant alors de ci de là mes connaissances en matière d’histoire, je me surpris d’un jeune page, probablement fraichement enrôlé, qui s’intéressa grandement à la matière que j’enseignais et continue d’enseigner au moment où je trace ces mots : la culture Vrykule. Il faut dire que bien peu de personnes n’entendait à cette honorable coutume, que moins encore considéraient comme une civilisation. J’appréciais donc cet échange, me félicitant de constater que les générations futures n’étaient pas perdues, alors que les cloches retentirent, et que les trompettes sonnèrent le rassemblement.

   Quelle surprise ne fut pas nôtre alors que la connétable elle-même se joignait à ses hommes, ayant décidé personnellement et contre toute attente de participer au dit entrainement orchestré par son lieutenant. Après une courte délibération, il fut convenu de séparer les troupes en plusieurs groupes, dont je n’ai retenu la composition que du mien. Je présente mes confuses les plus sincères, à mes lecteurs comme à mes compagnons de ce jour.

   Il y eut plusieurs épreuves. Les premières étaient individuelles, et m’ont tout bonnement empêché de prendre correctement des représentations, puisque votre serviteur participait également aux manœuvres. Ne pouvant décemment m’arrêter au milieu de la première course qui nous fut proposée, je me contenterais donc d’en narrer les péripéties.

   Je regrettais alors mon âge avancé, et mon appétit peut-être un peu trop souligné, quand je me rendis compte que mon souffle ne suivait plus. J’avais beau me donner au mieux, il est des choses qui sont immuables. Je ne me positionnerais pas sur le débat qui pourrait porter sur l’influence plus importante de mon ventre ou de ma vieillesse sur ma faible constitution. Je laisse ces questionnements de la plus haute importance à ceux qui en seront intéressés, mais je préfère pour ma part vous conter l’épreuve suivante.

   Il s’agissait cette fois de faire ses preuves dans un autre élément : celui de l’eau. Nous nous dirigions sous les ordres du lieutenant en direction de la rivière chutant depuis les monts aux pieds desquels le bastion de l’Ost Pourpre est battit, avant de courir follement tout le long de la frontière séparant Elwynn de son voisin de l’Ouest, des bois de la pénombre également avant de continuer sur une partie des Carmines, bien plus loin à l’Est, tandis qu’un autre de ses bras se séparait pour aller se prélasser beaucoup plus au Sud, jusqu’en Strangleronce. Nous parvenions près de la rivière tout en commençant à quitter les armures que nous avions revêtu même durant la course, mais qui en l’espèce, pourraient s’avérer mortelles. Je ne connais encore à ce jour personne qui soit capable de nager avec une cotte de maille dont la masse moyenne se tient entre les huit et douze kilogrammes. Je me débrouillais un peu mieux lors de cette épreuve, alors que la Connétable, le Lieutenant mais également le chevalier Grimdor, une aspirante du nom de Kzandra si mes souvenirs sont bons, et deux elfes, dont l’aisance sous l’eau ne m’étonna guère, me donnèrent du fil à retordre pour maintenir mon avancée.

   Trempés, nous remontions au bout d’une traversée certaine de la rivière pour revenir près de nos biens, où nous attendaient à notre grande joie quelques serviettes. Le Soleil avait beau tenir le rythme depuis l’aube, un vent malicieux soufflait cependant, et le froid ne manqua pas de nous transir dès lors que nous quittions le lit de la rivière. Une fois séchés et en armures, les ordres furent donnés concernant la suite des évènements. Accompagné de mon groupe constitué des précédents elfes, homme et femme, respectivement Stoh et Ravyn, ainsi que de la postulante de l’époque, une draéneï -Kzandra-, je me mis alors en route. Nous avions pour mission de nous rendre à la lisière Est de la forêt d’Elwynn, au camp des bucherons du Val, afin de mener une patrouille de routine. L’astre brulant tapant de plus en plus, j’enfilais un chapeau avant de me mettre en route. Sur le chemin, je tenais alors une conversation forte intéressante avec Stoh, tandis que nos compagnes discutaient de leur côté.

   Alors que j’épongeais mon front et dégainait ma montre de gousset aux armoiries Martel-de-Givre, je constatais que, si tant est que nous continuions sur ce rythme, nous ne parviendrons pas de retour à l’heure dite. Il fut convenu à l’unanimité d’accélérer la cadence, au risque de recevoir un blâme à notre retour. Empoignant mon chapeau, je me mis donc à suivre mon groupe qui ne semblait pas connaitre la fatigue des épreuves précédentes. Stoh tenait la cadence terrible et nous galvanisait de ses foulées endiablées. A bout de souffle et dans les temps, nous arrivions enfin au sein du camp des bucherons, trônant au milieu des vals de l’Est. Là, les scies, les piaillements et les bruits reconnaissables entre mille de la taille du bois résonnaient avec force et conviction. Les bucherons travaillaient à une cadence plus folle encore que notre précédente course sous les invectives autoritaires d’une superviseuse gaillarde qui ne semblait pas souffrir la moindre contestation dans ce milieu pourtant majoritairement masculin.

   Mais s’intéresser aux tenants et aboutissants du bucheronnage ne faisait pas partie de nos prérogatives. Nous décidions donc de nous séparer en deux plus petits groupes pour nous assurer du bien-être du lieu. Je patrouillais donc en compagnie de Stoh, avec qui je partageais de nouveau quelques mots, avant que nos deux compagnes, Kzandra et Ravyn, ne viennent nous chercher en courant. Selon certains travailleurs, un caïd des environs aurait investi une maison abandonnée et serait suspecté de plusieurs vols dans le camp. Arrivant au lieu-dit, nous fûmes fichtrement surpris par un espèce de gamin au sortir de la jeunesse qui, armé d’un tesson et d’une espèce de bock, tenta de nous ferrailler. Inutile de dire que le manant fut promptement et proprement maitrisé, mais il eut le malheur -ou la stupidité- d’invoquer son appartenance contestable à la confrérie Défias. Probablement plus dans le but de nous intimider qu’autre chose, loin s’en fallut alors. Et il fut convenu d’emmener le pauvre bougre à la garde. Coup de bluff ou réalité, il ne nous appartenait pas de statuer sur la véracité des dires du caïd. Nous le ligotions simplement mais fermement alors que fut ordonné le départ vers le bastion.

   Accompagnés de notre prisonnier, nous reprîmes la route, sereins mais l’œil tourné vers le voyou. Le voyage se fit alors sans aucune espèce de péripétie, aussi vous-en épargne-je le récit.

   Que dire de notre retour ? Ma foi, peu de choses, je le crains. Nous arrivâmes sans problème au bastion, trouvant alors sur le parvis le lieutenant Verminaard accompagné du chevalier Demes. Avec qui nous échangeâmes quelques mots ainsi qu’un rapport de debriefing complet, leur indiquant le pseudo-défias nous accompagnant. Lequel fut pris en charge manu militari par les autorités de l’Ost Pourpre.

   Le lieutenant nous félicita simplement, sans plus de fioritures, et nous libéra pour la journée. Saluant mes compagnons du jour, j’acceptais avec joie le verre qu’ils me proposaient. Pour ne repartir qu’une heure plus tard, le corps empli de fatigue et la tête pleine de souvenirs.