Le Lieutenant Epine méditait, à son bureau, dans le camp de fortune que les rescapés de l’Alliance avaient bâti à Chutelune. Le bataillon de l’Ost Pourpre avait finalement rallié leur position après le naufrage du navire sur lequel ils avaient embarqué. Leur commandant en chef, la Connétable Aurys de Nor Laedro, venait à peine de la quitter, son rapport effectué oralement en compagnie du chevalier dénommé Joakhim. La gilnéenne se remémora leur récit…

   Ils étaient une quinzaine de « Cloches » à s’être portés volontaires, des fils du nord pour la plupart, exceptés deux draeneïs. Le Lieutenant Merath de Sangre mena une escouade pourpre à la charge afin d’ouvrir un chemin jusqu’à la Porte des Ténèbres pour le bataillon en partance.

   Une fois de l’autre côté, le chaos les cueillit. Ils furent dispersés par des vagues sans cesse nourries d’ennemis. La destruction de la Porte les surprit – et le Lieutenant Epine se souvint parfaitement de l’expression courroucée de la lordaeronnienne – mais dans la confusion de la fuite, ils n’avaient pas eu le loisir de questionner l’ordre donné par le mage Khadgar et le draeneï Maraad. Ils s’étaient repliés en ramassant leurs blessés et en abandonnant les morts. Ils purent embarquer de justesse sur les bateaux volés aux orcs et échouèrent sur les rivages d’Ombrelune, une journée après nous.

   Un rapide recensement leur fit comprendre que plusieurs soldats manquaient à l’appel :  les écuyers Eldarion de Marnebuis et Lishaasi et les pages Anaryos Masaki et Nalwyn Brassemiel. Ils comptaient seulement une blessée grave – le Chambellan Lomah Merath de Sangre, amputée de son avant-bras gauche – et pas mal de gens sonnés. Il s’avéra très vite que la santé mentale du chevalier Elisabelle de Lénault avait été gravement ébranlée. La draeneï semblait souffrir d’un sérieux choc post-traumatique l‘empêchant de distinguer le passé du présent. Sans l’aide de Ser Hadariel Saer, elle aurait eu toutes les peines du monde à les suivre docilement.

   Le page Brassemiel fut retrouvé dans la forêt, en compagnie d’une éclaireuse de l’Alliance, égarée elle aussi, du nom de Kaery. Elle se proposa d’ouvrir la marche et de pister les traces du reste des troupes de l’Alliance qui avaient précédé le bataillon de l’Ost.

   Cette forêt opaque n’était pas sans habitants : ils croisèrent la route d’étranges animaux phosphorescent et agressifs comme un crapaud ou des loups. Ser Lutgardis émit la possibilité d’une gangrène due à la Légion Ardente, ce qui mit plus d’un mal à l’aise. Mais les animaux n’étaient pas les seules entités hostiles : d’étranges orcs pâles et sauvages rôdaient également dans les fourrés.

   La procession trouva une route pavée bordée d’autels d’inspiration clairement draeneï et entreprit de la suivre. Cependant, il fut bientôt évident que l’état du Chambellan ne lui permettait plus de marcher. Une forte fièvre avait réduit à néant ses dernières forces et le chevalier Joakhim dut la porter sur son dos. Trouver un abri devenait urgent et suivre la route les emmenait beaucoup trop loin à découvert.

   Ils rebroussèrent donc chemin vers la clairière de Chutelune, trouvant ce camp.

   Le page Misaki fut conduite auprès de l’Ost par des autochtones bienveillants, sans aucune anicroche.

   L’écuyère Lishaasi arriva plus tard, en claudiquant, la jambe sérieusement amochée. Elle avait été propulsée plus loin que les autres par l’accostage musclé et avait usé de ses talents de pisteuse pour retrouver la trace de son escadron.

   Le Lieutenant Epine, jeta un œil vers la fenêtre. De sa position, elle pouvait voir le feu, entretenu par une gnome, autour duquel se regroupaient des soldats de l’Ost Pourpre. Elle fut parcourue par un frisson en repensant aux yeux bleu acier de la Connétable. Cette femme n’avait jamais eu pour ambition de venir mourir sur ce monde perdu. Personne ne lui avait fait part du véritable but de cette mission – elle-même n’en avait rien su. Palabrer et exhorter à la solidarité entre rescapés ne serait pas suffisant : ce regard polaire exigeait réponse, et surtout réparation…